Roman Polanski, qui se définit comme un cinéaste "moraliste", aura, selon ses propres mots, passé sa vie à "recevoir des coups". Juif polonais, il a assisté à la construction du ghetto de Cracovie et à l’élimination des juifs qui y étaient emmurés, avant de parvenir à s’en échapper. Un film, Le pianiste, Palme d’or au Festival de Cannes en 2002, témoigne de ce cauchemar. Le cinéma fut sa façon de s’évader "du désespoir et de la détresse qui m’envahissaient par moments".
Il est un des plus grands cinéastes d’aujourd’hui, auteur d’une vingtaine de films, marqués, très vite, par une obsession : celle du huis clos et des relations humaines fondées sur le schéma maître-serviteur. Répulsion (1965) montre une schizophrène cadenassée dans un appartement, Le Bal des vampires (1967) traite par la comédie la hantise d’être traqué, Rosemary’s Baby (1968) est l’histoire d’une possession démoniaque, celle d’une femme enceinte tourmentée par la certitude d’être manipulée par des sorciers, Le Locataire (1976) dépeint l’enfer d’un étranger encerclé de racistes.
Autre symptôme d’une crainte de l’enfermement, Cul-de-sac (1966) est exemplaire de sa manière : noir et caustique, influencé par le théâtre de l’absurde, fidèle à un humour typique de l’Europe centrale, qui rigole dans le marasme. Suivront Chinatown (1974), et Tess (1979), d’après Thomas Hardy, encore une histoire de femme prisonnière d’un monde clos, une femme persécutée, qu’il signe en hommage à son épouse Sharon Tate, assassinée en 1969.
Jean-Luc Doin, Le Monde